Les examens complémentaires

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Les examens complémentaires

M. Huguier
Referate generale, no. 1, 2005
* Université Pierre et Marie Curie, Paris


Les examens complémentaires, biologiques, morphologiques (échographie, scanographie, résonance magnétique...) ou isotopiques dont nous disposons sont de plus en plus nombreux.
Les objectifs de cet éditorial sont 1) de rappeler ce que sont les outils de mesure de la valeur d’un examen complémentaire: sensibilité, spécificicité, valeurs prédictives; 2) de montrer l’importance de trois données fondamentales (1); 3) de faire réfléchir, au delà de la valeur informationnelle d’un examen, sur les autres données qui doivent intervenir dans la prescription.

Mesure de la valeur informationnelle d’un examen
Les données
Prenons l’exemple, d’une étude sur l’échographie hépatique chez des malades qui ont un cancer colorectal. Il peut y avoir des signes échographiques évoquant une métastase (S+) ou non (S-). Dans la population étudiée, certains malades ont effectivement une métastase. La maladie est présente (M+) ou absente (M-). A partir de ces données, il est possible de faire le tableau à quatre cases ci dessous:
M+
M-
S+
a
b
S-
c
d
«a» représente le nombre de vrais positifs (nombre d’examens pathologiques chez des malades);
«b» les faux positifs (examens pathologiques chez des sujets inclus dans l’étude mais qui n’ont pas la maladie);
«c» les faux négatifs (malades dont le résultat de l’examen est normal); et «d» les vrais négatifs (examen normal chez des sujets inclus dans l’étude et qui n’ont pas la maladie).
Les outils de mesure: sensibilité, spécificité, valeurs prédictives
A partir des données de ce tableau, quatre outils de mesure permettent de connaître la valeur informationnelle d’un examen. Ils dérivent des probabilités bayésiennes (2).
1. La sensibilité est égale à: a/a + c. Elle mesure la fréquence du signe dans la maladie.
2. La spécificité est égale à: d/b + d. Elle mesure la fréquence de l’absence du signe en l’absence de maladie.
3. La valeur prédictive positive est égale à: a/a + b. Elle estime, si le signe est présent, la probabilité de la maladie.
4. La valeur prédictive négative est égale à: d/d + c. Elle estime, si le signe est absent, la probabilité d’absence de la maladie.

L’importance des trois définitions fondamentales
Dans tout travail sur l’évaluation d’un examen complémentaire trois définitions sont fondamentales. Pour l’auteur d’un travail il faut y réfléchir avant de commencer son étude. Pour le lecteur d’un article, si ces trois définitions ne sont pas données de façon claire et précise dans le paragraphe Matériel et Méthode, il est inutile de poursuivre la lecture.
Ces trois définitions répondent aux trois questions suivantes:
Quelle a été la population étudiée?
L’appréciation de la valeur d’un examen diffère selon la population étudiée. Reprenons l’exemple de l’échographie dans le diagnostic des métastases hépatiques dans les cancers colorectaux. Dans une étude la sensibilité de l’échographie était de 82% (3). Dans une autre étude elle était de 66% (4). Cette différence de résultats s’explique, en fait, par une différence dans les populations étudiées: dans la première étude faite par des radiologues les malades qui avaient des métastases volumineuses et palpables ont été inclus alors que dans la seconde étude faite par des chirurgiens, les malades avec des métastases cliniquement palpables avaient été exclus.
Quels sont les critères sur lesquels l’examen a été jugé normal ou anormal?
Une seconde définition doit concerner les critères sur lesquels les auteurs ont jugé que l’examen était normal ou patho-logique. Dans notre exemple, sur quels critères échographiques a-t-on porté le diagnostic de métastases? En effet, un malade qui a un cancer colorectal peut avoir une échographie anormale; mais la lésion peut ne pas être une métastase, par exemple un angiome ou une hyperplasie nodulaire focale...
Dans la population étudiée, quels sont les critères sur lesquels on a estimé que la maladie existait ou non?
Dans notre exemple, sur quels critères (autres que le résultat de l’échographie) les auteurs ont affirmé qu’il y avait ou qu’il n’y avait pas de métastases hépatiques.
C’est ce que l’on appelle le standard de référence externe ou le référentiel. En effet, à l’intervention chirurgicale, une tumeur bénigne ou un kyste biliaire peuvent être pris pour une métastase. Dans cet exemple, le meilleur standard de référence externe est, s’il y a une lésion hépatique, son examen anatomo-pathologique. Inversement, lors d’une intervention, la constatation par le chirurgien que le foie est normal ne suffit pas à affirmer l’absence de métastases: il peut exister une petite métastase en plein centre du lobe droit du foie qui n’est pas visible ni palpable. Il convient donc d’avoir d’autres preuves d’absence de métastase: par exemple, échographie per-opératoire et recul d’observation.

Remarques
Travail n’ayant porté que sur des malades
Lorsque l’évaluation de la valeur d’un examen complémentaire n’a porté que sur une population de malades, ce qui correspond à la première colonne (M+) du tableau à quatre cases, il est seulement possible d’apprécier la sensibilité de l’examen. Ce type de travail est donc moins intéressant que les travaux qui étudient la valeur d’un examen dans une population dans laquelle une maladie (métastase hépatique) est possible mais où certains patients n’ont pas la maladie (pas de métastase hépatiques). Dans ce cas, il est possible de connaître la sensibilité, la spécificité de l’examen et ses valeurs prédictives qui sont les plus utiles. Par exemple, un travail a été fait dans les sigmoïdites diverticulaires sur l’intérêt pronostique de la scanographie (5). Les auteurs ont observé une différence statistiquement significative entre des signes de gravité ou non à la scano-graphie et l’évolution sévère ou bénigne. Ils concluaient que des signes de gravité à la scanographie indiquaient d’opérer. En fait, le calcul de la valeur prédictive positive de la scanographie, montrait qu’elle était de 30%. Suivre les conclusions des auteurs amènerait donc à opérer seulement 30% des malades à juste raison et d’en opérer inutilement 70%.
Outils de mesure et prévalence de la maladie dans la population étudiée
La sensibilité et la spécificité ne dépendent pas de la fréquence de la maladie (ou prévalence) dans la population étudiée: leur calcul se fait dans chaque colonne du tableau à 4 cases quelle que soit la proportion de M+ (ou de M-) dans l’ensemble de la population. En revanche, les valeurs prédictives dépendent de la prévalence de la maladie dans la population étudiée. Cela signifie qu’un lecteur, dans sa pratique, ne peut extrapoler les valeurs prédictives données dans un article que si la prévalence de la maladie dans son expérience personnelle est similaire ou peu différente de celle de la population sur laquelle l’étude a été faite.
Sensibilité et spécificité
L’examen idéal serait à la fois très sensible et très spécifique. C’est exceptionnel. Souvent un examen ou un signe très spécifique est peu sensible est inversement. En voici un exemple caricatural: le mélaena est très spécifique d’une hémorragie digestive mais bien peu sensible. Inversement, l’hémocult est sensible mais peu specifique d’une lésion digestive. Lorsqu’il s’agit d’un examen biologique, on peut déterminer pour différentes valeurs seuils la sensibilité et la spécificité de l’examen. Il est ainsi possible de construire des courbes de sensibilité et de spécificité appelées courbes ROC (Reveiving Operative Curves) (2).
La comparaison des examens entre eux
Lorsque l’on veut comparer deux examens entre eux, il est possible de faire une étude randomisée, certains patients ayant un examen, d’autres l’autre examen (1). Il est plus facile et préférable de faire les deux examens chez tous les patients puis de comparer leurs résultats.

Au dela de la valeur informationnelle
Tout examen a des contre parties médicales, de risque statistique, de coûts.
Contreparties médicales
Chacun sait qu’une ponction biopsie du foie peut se compliquer d’hémopéritoine. Une opacification rétrograde endoscopique des voies biliaires peut entraîner une angiocholite, qui peut elle même se compliquer de tubulopathie rénale... Ces contre parties sont de plus en plus rares et de moins en moins graves grâce aux progrès techniques mais elles n’ont pas toutes disparues. Dans la décision de prescrire un examen complémentaire il faut, bien entendu, tenir compte du risque éventuel de l’examen pour le patient.
Le risque statistique
Tout examen comporte un risque d’erreur de faux positifs et de faux négatifs. Pour les examens biologiques, ce risque est de l’ordre de 5%. Si l’on fait cinq examens biologiques indépendants entre eux, ce risque s’élève à près de 20%. Multiplier le nombre d’examens complémentaires que l’on demande,
multiplie aussi le risque d’erreur.
L’utilité décisionnelle
Enfin, chaque fois que l’on demande un examen, il faut s’interroger sur les conséquences décisionnelles de son résultat. Par exemple, si un malade jeune a une symptomatologie d’appendicite avec une douleur iliaque droite spontanée et provoquée, voire une défense, des nausées, de la fièvre, sans autres symptômes ni antécédent particulier, on posera l’indication opératoire. Un hémogramme est souvent demandé. En fait, son résultat ne changera pas la décision d’opérer. Il est donc inutile dans ce cas de demander un hémogramme.
Les coûts
Tout examen a un coût qui doit être pris en compte dans le fait de le prescrire. Si, par exemple, échographie, échographie et tomodensitométrie ont une valeur informationnelle à peu près similaire il convient de demander l’examen le moins cher qui est l’échographie. Le coût décisionnel de l’examen doit encore être pris en considération. Par exemple, avant une opération chirurgicale on a pu penser qu’une radiographie pulmonaire systématique était utile même chez les malades qui n’avaient pas d’antécédents pulmonaires et chez lesquels l’examen clinique était normal. En fait, des études épidémio-logiques ont montré que, dans ce cas, la radiographie pulmonaire décelait une anomalie chez un patient sur 300. En supposant que le coût unitaire d’une radiographie soit de 20 euros, le coût du dépistage d’une anomalie serait de 6 000 euros. De plus, si l’anomalie dépistée a une conséquence décisionnelle seulement une fois sur quatre, le coût de dépistage est de 24 000 euros.
En conclusion, la prescription d’un examen complémentaire repose sur sa valeur informationnelle exprimée par la sensibilité, la spécificité et surtout les valeurs prédictives. Cependant, d’autres données doivent intervenir: contre parties pour le malade, utilité décisionnelle, coûts.

References
1. HUGUIER, M. - Les études randomisées. Chirurgia, 2003, 98:185.
2. HUGUIER, M., FLAHAULT, A. - Biostatistiques au quotidien. 2eme ed., Elsevier (Paris), 2003, pag. 102.
3. ALDERSON, P., ADMS D.F., McNEIL, B.J., SANDERS, R., SIEGELMAN, S.S., FINBERG, H.J. et al. - Computed tomography, ultrasound, and scintigraphy of the liver in patients with colon or breast carcinoma: a prospective comparison. Radiology, 1983, 149:224.
4. MOLKHOU, J.M., LACAINE, F., HOURY, S., HUGUIER, M. - Dépistage des métastases hépatiques des cancers digestifs. Place des dosages enzymatiques et de l’échographie. Presse Med., 1989, 18>1370.
5. AMBROSETI, P., ROBERT, J., WITZIG, J.A., MIRESCU, D., de GAUTARD, R., BORST, F. et al. - Prognostic factors from computed tomography in acute left colonic diverticulitis. Br. J. Surg., 1992, 79>117.