Fistule biliaire totale precoce consecutive a une gastrectomie pour ulcere. Cholecysto-jejunostomie. Guerison
O. Francke et N. Fãlcoianu
Iassy
Revista de Chirurgie 1934; 5-6/37: 415-420
Ayant eu l’occasion d’observer une complication rare de la gastrectomie pour ulcère, complication qui prête à
certaines discussions en ce qui concerne la pathogénie et les multiples difficultés du traitement, nous croyons intéressant de faire connaître cette observation.
D.C. âgé de 25 ans, agriculteur, entre dans la
I-ère Clinique Chirurgicale de Iassy pour une
affection gastrique.
Rien d’important dans les antécédents personnels ou hérédo-collatéraux.
Le malade prétend qu’il souffre seulement
d’environ 5 mois. Il présente la symptomatologie typique d’un ulcère duodénal: des douleurs dans l’épigastre avec irradiation dans le dos et l’épaule droite, en rapport étroit avec l’ingestion d’aliments, qui fait cesser d’ailleurs pour quelques moments les douleurs de la sensation de faim (hunger pain) - celles-ci réaparaissent plus tard, 2 à 3 heures après les repas; des vomissements spontanés, alimentaires ou biliaires, atènuaient quelquefois les douleurs. Il n’a jamais eu des hématemès, mais au début de l’affection il a eu des mœlenas. Constipation opiniâtre.
Il est admis d’abord dans la Clinique Thérapeutique de Iassy ou le chimisme gastrique (hyperacidité et hyperchlorhydrie) et l’examen radioscopique avec sériographie précisent le diagnostic indubitable d’ulcère de duodénum. Le traitement médicale appliqué ne donnant pas de résultats, le malade est envoyé dans le service de chirurgie pour être opéré.
L’examen du malade ne relève qu’une zône
douloureuse comprenant l’épigastre et l’hypochondre droit, le point douloureux maximum étant dans cette dernière région, sur le bord externe du muscle droit, à trois travers de doigts sous le rebord costal. Dans toute cette région apparait une lègère défense musculaire.
La région de l’appendice est indolore.
On intervient le 26 Juin 1933, par une laparotomie sus-ombilicale et on trouve l’estomac dilaté, avec une lésion ulcéreuse sur la première portion du duodénum, près de son union avec la deuxième, vers son bord supérieur. L’ulcère adhère au pancrèas et au voies biliaires externes (vésicule et cholédoque). On dissèque très difficilement la portion adhérente en mettant en evidence à cette occasion le segment
sus-duodénal du cholédoque (après que la vesicule biliaire avait été libérée dès le début de cette dissection). L’enfouissement du moignon duodénal a été exécuté avec une certaine difficulté, on réussit cependant a le faire d’une façon correcte. On réseque 2/3 de l’estomac et on rétablit la continuité par une anastomose Reichel-Polya avec une anse retrocolique. Drainage de la loge gastrique à l’aide d’un tube en caoutchouk qu’on sort à la partie inférieure de l’incision de l’abdomen. On refait la paroi en 3 plans.
Les suites post-opératoires sont normales dans les premières 48 heures. La température monte à 38ºC le soir de l’opération, tombe à 37ºC le soir du lendemain. Aucune réaction péritonéale, pas de hoquet, de vomissement ou de défense musculaire.
Le troisième jour apparait dans le pansement un abondant ècoulement de bile. Cependant la température continue à diminuer pour arriver au chiffre normal le 6-ème jour. L’incision de laparotomie se cicatrise normalement à la partie supérieure; à son extrémité inférieure, à l’endroit du drain qui est aussi le siège de la fistule, il se produit une légère désunion de la plaie.
La fistule qui s’est produite est considérée d’abord comme une fistule duodénale quoique l’attention nous ait été attirée des le début par l’aspect nettement
biliaire de l’écoulement. On prescrit immédiatement un traitement avec l’insuline qui reste sans résultat.
L’aspect décoloré des selles et l’abondance de
l’écoulement biliaire pur par la fistule rendent certain le diagnostic de fistule biliaire. En même temps l’état générale du malade est en déclin, il maigrit, n’a pas d’appétit et il a de la répulsion pour la viande et les graisses. Les selles, toujours décolorées sont extrêmement fétides.
Le 19-ème jour de l’opération on fait une exploration radiologique du trajet de la fistule en employant le bromure de sodium, mais sans aucun résultat, car on ne peut rien conclure en ce qui concerne l’origine de la fistule sur l’arbre biliaire.
Le malade est réopéré le 21 juillet (25 jours après la première intervention), sous rachi-novocaïne 0,12 ctgr. Après avoir injecté le trajet fistuleux avec du bleu de méthylène on fait une laparotomie médiane sus-
ombilicale qu’on élargit par une incision transversale à droite.
On libère avec difficulté les adhérences qui fixent le foie et le côlon transverse à la paroi antérieure. Une fois cette éliberation achevée, on libère le côlon transverse de la face inférieure et du bord antérieur du foie. En écartant le premier en bas et le foie en haut il
apparaît une zône d’adhérences nacrées qui s’étendent à gauche vers l’anastomose gastro-jéjunales. Dans cette zône d’adhérences on voit un orifice de la grandeur d’un pièce de 50 cents, par lequel s’écoule une grande quantité de bile. Au premier coup de l’oeil on se rend compte de l’impossibilité d’une dissection du trajet de la fistule dans ce tissu d’adhérences extrêmement
friables et dans lequel toute orientation est impossible. En conséquence on repère l’échancrure de la fossette vésiculaire sur le bord antérieur du foie et on met en évidence avec assez de difficulté le fond de la vésicule, ainsi qu’une partie de sa face inférieure. En s’agissait d’une vésicule pleine, presque distendue, avec un cotenu biliaire de stase (par une ponction on extrait un liquide filant, épais, vert foncé), on pose l’indication et on exécute une cholécysto-jejunostomie transméso-colique, avec la première anse jéjunale au dessous de la gastro-jéjuno anastomose Reichel-Polya faite lors de la première opération. L’anse jéjunale étant forcément trop longue on fait une jéjuno-jéjunostomie à sa base entre l’anse afférente et l’anse efférente (Lauenstein-Braun).
L’orifice de la fistule ne pouvant être fermé à cause de l’extrême friabilité des tissus nous nous contentons de faire un tamponnement avec des compresses. On met ensuite un tube de drain de sûreté loin de la
fistule et de l’anastomose cholécysto-jéjunale. La paroi est fermée en trois plans.
Les premiers jours le pansement est imbibé d’une grande quantité de bile. Lorsque le malade commence à avoir des selles, 5 jours après l’opération, celles-ci sont toujours décolorées. Peu de temps après cependant, vers le 9-10-ème jour, les selles commencent à se colorer, la quantité de bile qui s’écoule par la fistule diminue pour disparaître complètement dans les jours suivants.
Après une période de quelques jours de suites post-opératoires inquiétants pour le malade, celui-ci commence à reprendre de l’appetit et l’état général s’améliore du jour au lendemain.
Le 9 Août (19 jours après la deuxième intervention) le malade fait une ascension thermique (39ºC), qui persiste trois jours et qui tombe en même temps que s’ouvre la fistule biliaire. Cette fois l’écoulement de bile est peu important et ce petit accident ne
persiste pas, car le fistule se ferme définitivement dans quelques jours et le malade quitte l’hôpital le 23 Août complétement guéri.
Revu après deux mois il a beaucoup gagné comme poids et n’accuse aucun trouble.
Ce cas nous parait intéressant pour plusieurs raisons. En effet, les complications biliaires fréquentes dans les interventions sur le cholécyste, sont extrêmement rares dans les interventions sur l’estomac. Le plus souvent dans ces cas il s’agit de blessures accidentelles du cholédoque, immédiatement observées et traités tout de suite par des méthodes bien établies
aujourd’hui, mais avec des résultats tardifs qui ne sont pas toujours satisfaisants, soit à cause de sténose
tardives, soit à cause des infections ascendantes.
Dans l’admirable livre sur “La Chirurgie de
l’ulcère gastrique et duodénal” écrit par Hortolomei et Buţureanu (1), on trouvent cité les cas de Pannet (un cas), de von Haberer (3 cas) dans lesquels la voie biliaires principale a été sectioné accidentellement et immédiatement réparé; de Brüning et Konjetzny, qui font la section volontaire du cholédoque et sa reimplantation et enfin celui très complexe de Livio Lasion ou la perforation du cholédoque en même temps que celle des canaux pancréatiques fut la
conséquence du processus évolutif d’un ulcère de la deuxième portion du duodénum.
A part de ces cas on trouve encore Schoemaker (2), qui sur un total de 350 opérations sur l’estomac (résections), note 2 blessures du cholédoque. P. Sigalos d’Athéne (3) cite cet accident survenu une foi à Gerulanos, suivi immédiatement de la suture du cholédoque avec un bon résultat. Corrachan (4) de Barcelone étudiant spécialement les blessures du cholédoque dans les gastrectomies, cite Kehr avec 16 accidents de cette sorte dans 1000 opérations sur l’estomac et les voies biliaires et apporte 4 cas
personnels sur 383 gastrectomies. Dans deux cas
l’accident survient au moment de la libération des adhérences entre l’estomac et le hile du foie ou le pancréas, les autres étant dues à des ulcères duodènaux térébrants dont le fond était constitué par la paroi antérieure du cholédoque. Dans pareil cas l’accident est inévitable et ils constituent l’une des plus précises indications de la résection pour exclusion recommandé par Finsterer.
A part ces accidents immédiats, peuvent survenir à la suite des interventions sur l’estomac - d’une façon tout à fait exceptionnelle - des accidents tardifs en rapport avec une sténose inflammatoire des voies biliaires comme dans le cas de J.Puig y Sureda (5) qui parmi 131 résections (25 limitées et 106 étendues) trouve cet accident une seule fois.
L’explication de ces accidents n’est pas difficile à trouver. On peut accuser soit la présence des mèches ou du tube de drainage au voisinage des voies biliaires (pour ceux qui font le drainage systématique dans les résections) selon la manière de Walzel (6) soit le processus d’angiocholite pré- ou post-opératoire selon la remarque de E. Starr Judd (7) après les cholécystectomies, explication parfaitement applicable aux interventions sur l’estomac.
Dans notre cas c’est difficile de supposer qu’on avait blessé accidentellement le cholédoque au cours de la résection de l’estomac.
D’abord pour le motif que cette plaie accidentelle devait se produire au moment de l’isolement de la paroi duodénale ou de l’enfouissement de duodénum. Or, pendant tout ce temps, nous avions constamment sous les yeux le cholédoque. Mais même si l’accident nous avait échappé pendant les manoeuvres duodénales, comme nous faisons la résection classique de droite à gauche, il est difficile à admettre que la
cholérragie produite entre la fin de l’enfouissement duodénale et la fin de la résection (plus d’une heure) ne nous aurait pas attirer l’attention.
Il ne nous restent alors que deux suppositions: la première et la moins probable, serait celle d’avoir pris totalement le cholédoque dans une suture ou une ligature. Dans ce cas la fistule biliaire se serait produite plus tardivement et elle aurait été précedée d’un état ictérique ou sous-ictérique, fait qui n’a pas été constaté chex notre malade.
Dans la deuxième supposition, que nous partageons, il s’agirait d’une nécrose de la paroi du cholédoque, qui pourrait être mise sur le compte des dissections du paroi duodénale pendant la libération de
l’ulcère qui adhérait et infiltrait cette paroi, - et peut-être aussi à l’action d’une compression par le tube de drain.
Il s’agit par conséquence d’une fistule biliaire précoce due à la nécrose probable du cholédoque, accident exceptionnel et que nous n’avons pas
rencotré dans la littérature consultée.
Les conditions de l’intervention chirurgicale réparatrice, qui ne pouvait plus être discutée étant donné l’état de continuelle émaciation du malade étaient aussi extrêmement difficiles tant au point de vue technique que du choix de l’intervention à
éxécuter. Dès le début nous ne pouvions pas penser à une plastie de cholédoque sur tube perdu, qui aurait été difficile à éxécuter à cause des modifications de l’épiploon et de la région hépato-duodénale, modifications qui auraient amené presque fatalement la sténose tardive du trajet néoformé. Il ne restait à choisir
qu’entre l’anastomose de l’orifice fistuleux avec
l’intestin grêle ( soit duodénum ou jéjunum), opération difficile à cause de la friabilité des tissus de l’orifice
fistuleux, des difficultés d’isoler et de suturer le duodénum englobé dans les adhérences consécutives à la première intervention -, et une opération de dérivation par la vésicule biliaire, qui n’était possible qu’en cas de gêne dans l’écoulement de la bile à travers le cholédoque fistulisé accidentellement, gêne qui devrait être mise en évidence par un état de distension de la vésicule et par l’aspect de bile de stase de son cotenu.
Avec ce plan d’opération, l’intervention a découlé dans des conditions extrêmement difficiles. La libération des adhérences entre le foie, le côlon transverse, le duodénum et l’anastomose gastro-jéjunale a été
executé avec beaucoup de peine, facilité pourtant par la matière colorante (bleu de méthylène) injectée avant l’opération dans le trajet de la fistule.
Trouvant une vésicule biliaire distendue et avec un contenu biliaire concentré nous avons fait une cholécysto-jéjuno-anastomose transmézocolique, qui a amené, après un mois, la guérison complet du malade. La jéjuno-jéjunostomie à la Braun nous paraît d’une importance particulière dans notre cas non seulement dans le but d’éviter la difficulté du transit intestinal provoqué par une anastomose cholécysto-jéjunale a anse longue, mais aussi dans le but prophylactique de maintenir la vésicule biliaire-dérivée dans l’intestin grêle, loin de son contenu septique.
Celles-ci sont, sommairement exposées, les quelques considérations qui selon notre avis comportent ce cas.
Bibliografie
1. Hortolomei, N., Buţureanu, V. - Chirurgie de l’ulcère gastrique et duodénal. Masson et Cie, 1931.
2. Schoemaker, W. - VIII-ème Congrès de la Soc. Internationale de Chirurgie, Warsowie, 1929, pag. 639.
3. Sigalos, P. - Dtsch Zeitsch f Chir 1932, pag. 181.
4. Corrachan, J. - Rev. de Chir. de Barcelone 1931, 1:67.
5. Puig y Sureda, J. - Ars Medica 1931, 71:215.
6. Walzel, L. - Dtsch Zeitsch f Chir. 1931, 163.
7. Starr-Judd, E. - Ann. Surg., 1926, 3:404.